Dans l’oeil des sucs

Cette après-midi, avec Delphine, nous sommes allés faire un tour au musée des croyances populaires au Monastier sur Gazeille. On a en tête l’idée de savoir comment ça sent dans les contes et légendes de Haute-Loire.

Il y a sur la place du village en travaux un château tout ce qu’il y a de médiéval. Ça pourrait être l’illustration d’un livre scolaire tant il est à l’image qu’on se fait du fortin. Un donjon austère flanqué de 4 tours en pierre de lave d’un rouge sombre le tout orné de modénatures gothiques dépareillées se repose en contrebas d’une esplanade de terre battue. Son gore tout neuf est marqué d’un passage de roues dans lequel quelque malicieux a dû trouver passionnant d’y aligner des petits cailloux. Il y a comme une odeur de drac ou de lutin par ici ; on ne sait pas bien où c’est, mais on doit être sur la bonne voie.


Confirmation auprès d’un duo de sympathiques autochtones en chantier, c’est bien dans le château qu’on trouvera Patrice, l’artiste plasticien conteur, créateur du musée des croyances populaires.

Quelques marches en contrebas, nous contournons la bâtisse. Une porte est ouverte par laquelle nous entrons. Les pièces éclairées, équipées d’un mobilier paysan on tout du décor de reconstitution. À ceci près qu’elles accueillent un peuplement de saynètes. Diorama ou tableaux en séquences illustrent des contes et des légendes que Patrice collecte sur le plateau depuis trente ans entre Haute-Loire, Ardèche et Allier.

Face à une table rustique qui doit tenir lieu de banque d’accueil nous entrons. Bonjour !  Une voix nous répond comme portée en écho par la pierre  .

Bonjour !

Il se passe peut-être 30 secondes, peut-être une minute avant que le maître de ces lieux n’apparaisse.

Comme une odeur de soufre

Patrice nous parle d’abord de l’odeur du diable et de celle de la sainteté.

Dans la tradition orale populaire de Haute-Loire, le diable est précédé d’un relent de soufre. Cette odeur que l’on sent prêt des sources volcaniques sort de la terre où habitent les démons. On raconte que Dieu avait accordé à Satan alors enfermé sous terre à la création du monde, le droit de regarder le monde par un volcan. Mais quand le divin père occupé par sa création eut le dos tourné, le malin perça le Velay d’autant de trous de taupes que possible pour avoir l’œil de partout. Le déluge mettra fin à la fête, mais l’œil du diable est il encore dans le suc ? Les saints eux meurent en odeur de sainteté et leurs reliques exposées dans les chapelles alentour embaument le myrte ou le romarin.

Galien, un savant romain auteur d’un important traité de médecine, prête aux mauvaises odeurs le pouvoir de provoquer des maladies. L’odeur d’un corps en décomposition, d’un fruit en train de moisir est un signal tout a fait certain que quelque chose ne va pas bien. Il n’y a aucune chance par contre qu’elle vous transmette le choléra ou juste une bonne gastro. On retrouve cette confusion entre le messager et la cause dans  les croyances paysannes dans lesquelles les odeurs ont des pouvoirs magiques. Aucun problème donc, pour vous guérir d’une pneumonie par la puissance olfactive d’un bain de purin, ou vous transformer en loup-Garou par inhalation d’une décoction à base de millepertuis et de morelle noire.

Les bergers de la saint-Jean

Dans les sociétés paysannes, le berger, suit ses troupeaux. Cette condition mobile, au contact du dehors lui fait disposer de temps pour s’instruire d’un livre et des choses de la nature.  Connaisseureuses des espèces de plantes qui soignent et parfois tuent les pasteurs et bergères seront souvent accusés de sorcellerie.

Nous apprenons au détour de la conversation que Saint-Jean d’été c’est la fête des bergers. Il se trouve que nous avons envie de faire des meules d’odeur en référence aux meules de la Saint-Jean pour notre activation du 21 juin, il y a des chemins qui se croisent on dirait.

Patrice nous montre dans une vitrine de tout petits cailloux : les étoiles de la saint Jean sont des pierres en forme d’étoiles à 5 branches. On les trouve en chandelles, empilées comme des petites pièces de monnaies. Les bergers les portent contre eux dans de petits sachets dans leurs culottes et leurs sabots. Le jean est peut-être en odeur de sainteté, mais il y a fort à parier que ses étoiles sentent la chaussette.

Le pouvoir de vie du sel.

Outre les herbes odorantes, le sel - unique conservateur disponible, agent essentiel de nombreux procédés de fermentation - est le moyen dont dispose le peuple pour chasser les odeurs de corruption, ou du moins les empêcher d’advenir. Il revêt un pouvoir magique que l’on retrouve en sorcellerie pour par exemple délimiter des périmètres de protection contre le diable. Ainsi ces paysans qui au sortir de l’hiver font le tour de la ferme et jetant du sel d’une jatte au-dessus de l’épaule droite crient à tue-tête : « tu ne gagneras pas tu ne gagneras pas ! Tu ne gagneras pas ! »

Cet élément essentiel dont on ne saurait se passer fait l’objet encore jusqu’à la fin du XVIIIe siècle d’une taxe largement décriée : la gabelle avec laquelle il faut ruser pour ne pas être détroussé. Un renard en guise de conjuration fiscale veille ainsi au grain lové sur les moulins à sel vellaves.

L’odeur des histoires aux jours des chaumes

On se demande dans quelles atmosphères olfactives les contes qu’a recueillis Patrice ont pu être écoutés. Il nous raconte son expérience dans une chaumière où le feu de bois, la soupe mijotée dans une marmite suspendue à un crochet au-dessus du foyer donne une dimension toute particulière aux récits. Le bois qui brûle, la fumée qui s’en dégage comme la suie qui s’accroche aux murs de pierre forme un premier bouquet. Alliée aux exhalaisons des animaux qui vivent en membre de la famille sous le même toit que les humains de la maisonnée, la paille en jonchée ou le chaume sur la tête prennent avec l’humidité une tonalité moisie et tiède qui vient au fond soutenir ce paysage olfactif confiné des hivers d’autrefois.

Lonesome poneys

Nous nous trompons un peu de route pour rentrer. Au détour d’un itinéraire buissonnier, nous passons tout près des carrières entre le Puy et Saint-Hostien. Dans les petits canyons verts d’argile du Velay, des shetlands se rêvent en mustangs sauvages de western. Nous aussi on y croit. C’est la fin du jour, ça sent aussi le poney dans la voiture. Au passage du col, au milieu des pavillons et des hangars de la ZAC qui les jouxtent,  notre monture s’éloigne dans le soleil couchant un peu comme dans une case de Lucky Luke.