De la Blache à Malrevers
Lundi 3 février, c'est le premier jour de résidence sur le territoire. Je suis arrivé ce matin chez Pauline Bonnet. Le paysage couvert de givre semble jouer de concert avec le métier de l'agricultrice glacière qui a accepté de nous recevoir pour cette première visite. Avec un peu d'avance je passe par les champs perdus dans la brume, les arbres et les prés gelés. Dans cette combe, Il y a des haies de hautes tiges entre les parcelles. Dans les fossés sa mousse par endroit. Ce n'est pas le désert, mais tout semble en suspend, dans l'attente d'un peu de chaud pour que les affaires reprennent. Le bout du nez tout gelé ; on ne sent pour ainsi dire rien.
Nez en gelée et charcut' dehors

Arrivé dans la cour, deux beaux chiens jaunes un peu massifs mais débonnaires me font bon accueil. Ils ont l'air contents et crados, comme des bons chiens de ferme, mais là encore bizarrement il ne sentent pas grand chose. Alors qu'en bon cabots crottés, il devraient me gratifier d'un mélange de boue croupie de relents fauves, de poil mouillé... C'est que la vie sur leurs dos ensommeillée sent moins, et c'est une des choses que Pauline me dira. S'il y a une saisonnalité des odeurs à la ferme, c'est que ça sent plus fort quand il fait chaud. Les bactéries s'activent, les champignons dévorent, toute une faune grouillante respire : au printemps, ça sent l'humus en train de se faire quoi !
A côté d'un bachat aux eaux un peu troubles, Il y a dans l'air une odeur de cochonailles presque appétissante. Faut-il qu'elle soit forte ou bien encore chaude de sa préparation. C'est un peu tôt, pour un petit gueuleton, mais ça ouvrirait presque l'appétit. C'est que l'odorat me joue des tours, tant les odeurs sont atténuées par le froid mordant de ce petit matin tout embué. Est-ce un mirage ou l'odeur du sandwich prévu pour midi qui daube dans la portière de la bagnole ?
Je rencontre les élèves de CPCE1-2CM1-2 de l'école de Malrevers avec leurs institutrices. Dans la salle des profs on évoque les souvenirs de la cléo-colle aux parfums d'amande ou les tirages à l'alcool des écoles d'avant ; les odeurs de maintenant aussi : le papier chaud sorti du copieur laser ou bien l'odeur du neuf des colis de fournitures prêtes à servir, mais aussi les odeurs un peu fauves des enfants qui grandissent - et ce n'est pas tous les jours facile de s'en accommoder.

Tout le lait et rien que du lait
Pauline s'est installée en 2022 , après une première carrière de libraire sur l'exploitation de son mari lui même représentant d'une longue lignée de paysans. Elle est plus lait frais que lait chaud, plus lait cru que lait UHT, mais certainement pas soupe au lait. Elle parle avec force détails de ses recettes de riz au lait, de crèmes glacées avec de vrais fruits, vanilles ou chocolat. A chaque fois, c'est la matière qui compte. On veut du vrai, du frais ; pas d'arôme. Pour elle cette différence compte, il y a des odeurs profondes ancrées dans une réalité de la matière; les extraits n'en font que des portraits délavés.
Ce dont parle Pauline, ce n'est pas d'un geste en particulier précis, finit qui ferait à lui seul sentir, mais d'une série de gestes inscrits dans une sorte d'économie des odeurs. On commence d'abord par la pousse de l'herbe, la coupe sèche au parfum de foin ou l'odeur de brassin de l'ensilage, les effluves animales et ammoniaques de l'étable , les états du lait : du chaud sorti bourru par le pis au réfrigéré du tank puis au chaud du pasto, les présures qui participent du caillé plus acide et enfin les aromatiques, confitures de fruits, gousses de vanilles ouvertes au couteau; et puis vient le moment de faire place nette. Quand tout est finit, ça sent la javel et l'alcali.
Prenons cette vanille bourbon de Madagascar, Pauline nous raconte que ce produit de première qualité inabordable sans trouvaille pour en enfleurer les yaourts est d'abord utilisé pour les crèmes glacées. Les gousses après avoir été vidées dans ce premier mélange sont ensuite infusées dans un autre, séchées, broyées puis transformées en sucres vanillés qui viendront donner au yaourts leurs saveurs inimitables. Il y a dans le récit de ces procédé une ingéniosité de la mise en circulation des odeurs ; un respect de la matière pour laquelle on développe une attention du geste de l'ordre du gastronomique. Cette attention on la retrouve dans le travail de son mari qui superpose aux couches d'herbes du silo la couche de maïs à proportion de la ration des vaches. Quand il distribue le tas fermenté, la bonne composition est alors prête à servir dans la fourche.
Parlons d'ensilage. Il n'a pas bonne presse, c'est vrai. Il sent l'aigre et pour certains il corrompt le goût du lait. Pour Pauline, il faut avoir le nez bien fin pour sentir en vérité la différence. l'ensillage dans son cas est le prix d'une autonomie productive et économique de la ferme. A part le sel, tout ce qui sert à nourrir les vaches est produit ici.
A l'école de Malrevers.
Je rencontre les élèves de CPCE1-2CM1-2 de l'école de Malrevers avec leurs institutrices. Dans la salle des profs on évoque les souvenirs de la cléo-colle aux parfums d'amande ou les tirages à l'alcool des écoles d'avant ; le papier chaud sorti du copieur laser ou bien l'odeur du neuf des colis de fournitures prêtes à servir, mais aussi les odeurs un peu fauve des enfants qui grandissent - et ce n'est pas tous les jours facile de s'en accommoder.
Avec les enfants, on teste une gymnastique pour se préparer à sentir : respirer. D'abord, réveiller le corps ; cligner des yeux ; cligner des oreilles ; cligner du nez. Ensuite Synchroniser la tête et la respiration; oui-non, Ouvrir le diaphragme ; Accueillir l'air ; repousser puis embrasser. Faire circuler l'air par le chant ; Chanter par la bouche ; Chanter par le nez. Se sentir - bien ou pas. Chauffer les mains; sentir et explorer sa main ; sentir la main du voisin ; Dérouler le corps du plafond des étoiles vers le sol des vers de terres. Sentir les odeurs du milieu - qu'est-ce qu'on sent; s' étirer porter les bras au ciel sentir le goût de l'air l'ozone, le gaz des avions, la fumée des cheminées, les feuilles des arbres ; s'asseoir - on ferme les yeux - l'écorce des arbres les plats sur une table ou dans la cuisine, les animaux, les gaz d'échappement ; Le nez par terre - les turricules des vers de terre, les limaces, la goudron, les champignons le petrichor, les cailloux, le sable,...
Et puis au détour de la conversation le cochon refais son apparition. Il se trouve que dans le public, il y a la petite voisine de Pauline Bonnet qui la veille, ce week-end à fait la fête à cochon. Elle me dit que le cochon ça sent bon, qu'elle aime bien l'odeur du saucisson. C'est un peu plus tard que je recolle les morceau : ce matin mon nez en gelée ne m'avait pas menti.
Sur le suc de Mercoeur
Pour prendre de la vue sur les hauteur, je monte après le suc de Mercoeur pour finir cette première journée et découvrir un petit panneau qui pointe vers le hameau où j’étais ce matin et voilà ce que je lis : De ce hameau que vous apercevez au loin, la Blache, est originaire Paul Vidal de la Blache, né en 1845, dont l'oeuvre majeure fut " le tableau de la géographie de la France " en 1903. C'est dans ce hameau que ce matin je croisais Pauline Bonnet. Ce cher Géographe n'est autre qu'un des pionniers de l'école de géographie humaine dont le présent travail s'inspire humblement. La coïncidence est amusante et l'idée de prendre un vidal lablache comme fond de carte à la cartographie des odeurs du velay parait bien séduisante.