En passant par la pinatelle du zouave

A la gare SNCF du Puy en Velay, je retrouve Delphine. L'artiste-chercheuse avec qui j'ai déjà fait quelques trucs apporte un point de vue saillant sur les représentations du territoire et sa sensibilité dans les façons de mener les entretiens. En tant que chercheuse, elle s'intéresse aux cultures paysannes et à leurs manières de faire relation avec le vivant.


Transmettre des odeurs.

Ce qui m'intéresse dans son expérience, en particulier pour ce projet, c'est que son travail part d'une question sur la transmission des connaissances de la nature. Dans un temps pas si lointain, celui de nos grand mères, pour certain.es de nos mères, on savait plus facilement nommer des plantes, des matières, en connaître les propriétés pour se soigner, connaître des gestes qui permettaient de les transformer pour en faire des objets ou les réparer... Des choses qui a priori rendent plus autonomes, moins dépendant.es d' infrastructures destructrices de l'environnement. Comment se fait-il que ces connaissances précieuses dont la transmission faisait une part importante des relations humaines, s'est trouvée dépréciée, jugée suffisamment inutile pour être passée sous silence. Leur réactivation contemporaine par de nombreuses communautés apprenantes est elle aussi un signe de ce questionnement.

Ce qui nous occupe dans ce projet est aussi de l'ordre des transmissions. Comment transmettre des odeurs ? Que nous transmettent-elle ? Nous permettent-elle de rendre sensible des liens entre un territoire et ses habitants ?

De la soupe au cailloux à la Pinatelle du Zouave

En fin de matinée, nous allons faire un tour dans une puce en quête de récipients pour fabriquer nos Olfacterres. Peu de bocaux en verre retiennent notre attention. En croisant des soupières et d'autres gamelles, nous commençons à nous intéresser à un imaginaire plus proche de celui de la nourriture. Lever le couvercle, sentir la bonne soupe, un pot au feu chez maman, des patates mijotées dans du beurre, du fromage ou de la crème, des poissons de roches recuits cet été aux Goudes,...

Après tout, la proposition de départ proposée aux élèves est de l'ordre de la soupe aux cailloux... Ce choix s'impose peut-être, il nous enthousiasme, mais il suppose une petite inflexion, il demande donc encore un peu de maturation.

La Pinatelle du Zouave ou nous allons déjeuner d'un sandwich a donné des arômes complémentaires au récit de Willy Teyssonière, le paysan boulanger que j'ai rencontré le jour précédent. Nos pas dans l'humus s'assourdissent de couches d'épines épaisses dans cette forêt autrefois domaine des boulangers. On prenait leurs branches aux arbres pour les donner aux fours à pain. Il y a quelques gemmes de résines qui perlent aux membres torturés de ces pins taillés en trognes. Leur piquant de térébinthe et de sève complètent un portrait olfactif déjà bien riche.

De retour à la Blache

Nous entrons dans le labo de Pauline. Nous avons des prises de son à faire de ses étapes de travail. Après un lavage de main, une charlotte sur la tête et sabots en plastiques que nous entrons dans Il y fait une chaleur moelleuse. Les odeurs du lait tiède se mêlent à celles des produits d'entretien. Pendant que la laitière prépare ses pots et ses ustensiles pour le lendemain, son employée remue un sirop de différentes qualités de sucres. On sent les confitures de lait. Nous laissons nos affaires pour aller faire un tour de ferme. Nos pas nous mènent par la campagne. Le temps s'est fait plus doux que l'autre jour. Les ruisseaux rigolent et les chemins sous nos pas

Nous empruntons un chemin que nous espérons voir déboucher sur la route de retour vers la ferme. finalement, il nous permettra de la rejoindre, bien qu'après plus de temps que nous l'aurions pensé. L'agrandissement des fermes a aussi ses effets sur les possibilités de circulation à pied dans les campagne : la taille croissante des parcelles font de plus grands détours. Ça a peut-être l'air d'être un peu hors de notre sujet,...

A vrai dire, je peste un peu, cette vallée est bien préservée. Mais en fait, sentir est affaire de distance. Il y a peu d'odeurs qui ont cette portée au kilomètre comme le fumier ou le feu. Impossible de distinguer la feuille de la ronce légèrement fruitée de l'astringence de la tige du saule à moins d'un mètre et que dire de la violette qui réclame courbette, qu'on pose sa fraise sur le sol. Il est certain qu'un paysage qui d'une certaine façon s'uniformise offre moins d'expériences olfactives possibles. Elles le sont d'autant moins que les opportunités se referment de s'enfoncer dans ses replis par des sentiers que les remembrements recouvrent. Sentir, c'est aussi rentrer en contact. Cet éloignement de la nature, comme la séparation d'avec le monde agricole dont on ne cesse d'entendre parler se joue probablement aussi dans ces effets de mise à distance. L'odeur des bons produits de la ferme ne résout pas ce problème un peu compliqué, mais c'est une manière d'y contrevenir. Dans le parfum d'une crème glacée, d'un miel ou d'une croûte de pain il y a celui du champs, de la forêt, de la terre, des vaches et des abeilles et des autres êtres qui les peuplent.